Je suis fille de rage de Jean-Laurent Del Socorro

La découverte d’un nouvel auteur français c’est toujours un moment d’appréhension pour moi, mais quand c’est un auteur dont on a entendu beaucoup de bien, on se laisse tenter. Lors du lancement du mois de l’Imaginaire en Octobre dernier, Jérôme Vincent a inlassablement parcouru l’assemblée avec sous le bras des exemplaires de Je suis fille de rage de Jean-Laurent Del Socorro et d’A la pointe de l’épée d’Ellen Kushner. Il a réussi à me convaincre de lire les deux (il est très fort pour défendre ses livres) mais j’avoue qu’outre la superbe édition, ce qui m’a de suite séduite avec Je suis fille de rage c’est le style de récit proposé : des chapitres courts, des changements de points de vues nombreux… j’ai tout de suite pensé à World War Z de Max Brooks dont j’avais adoré la construction.

1861 : la guerre de Sécession vient de commencer. Du général Grant à la simple soldate, de la forceuse de blocus à l’esclave affranchie… Autant de personnages pour décrire tous les visages de cette Amérique ensanglantée pendant quatre années de conflit. La mort se réincarne pour arpenter ce Nord et ce Sud qui se déchirent. Elle va faire face à celui qui la convoque, le président Abraham Lincoln, pour lui faire comprendre que cette guerre doit désormais épouser une cause plus grande : celle de l’abolition de l’esclavage.

Avec Je suis fille de rage, Jean-Laurent Del Socorro choisi la guerre de sécession comme cadre à son nouveau roman. Une période de l’histoire que personnellement je connais mal, ma lecture n’a donc pas du tout pu être mise en parallèle avec mes propres connaissances de la guerre civile américaine et j’ai presque envie de dire tant mieux ! En plus de découvrir un nouvel auteur, j’ai pu découvrir tout un pan de l’histoire américaine à travers la propagande, les réflexions et les témoignages des personnages de ce livre entre roman historique et récit fantastique.

La mise en place des évènements : Abraham Lincoln est président des États-Unis, enfin de la partie Nord des États-Unis puisque sa volonté d’abolir l’esclavage a mené à la sécession des états du Sud qui sont maintenant mené par Jefferson Davis. Depuis le début du conflit, la Mort accompagne de manière physique Abraham Lincoln dans son bureau, lui montrant jour après jour les morts qui s’accumulent sur les différents champs de bataille. L’Union contre La Confédération : de 1861 à 1865, Jean-Laurent Del Socorro nous propose de plonger dans cette guerre fratricide à travers une galerie de personnages allant du Général Grant au simple soldat. Un livre ambitieux entre faits romancés et historiques qui par petites touches en forme de chapitres courts emmène le lecteur au cœur d’un guerre symbole de liberté pour quelques uns et de changements irréversibles pour tous.

« Comme je ne serais as un esclave, je ne serais pas un maitre. »

Abraham Lincoln, président des États-Unis

« Notre nouveau gouvernement est fondé sur cette vérité fondamentale que l’homme de couleur n’est pas l’égal de l’homme blanc. »

Alexandre Stephens, vice-président de la confédération des états du sud.

En plus de nous proposer un roman historico-fantastique prenant et particulièrement bien écrit la construction du roman en elle-même est un vrai petit bijou. Une succession de chapitres courts alternant entre L’union et la Confédération, quelques personnages sont récurrents, d’autres ne font qu’une brève apparition. Des cartes pour situer l’action et des titres de chapitre présentant chaque personnage : « La fille qui n’a plus de père », « Le général qui ne compte pas ses morts » ou « L’officier qui lutte contre la folie ».

Un cadre, une présentation du personnage qui accompagne le lecteur au cœur de la folie de cette guerre où uniformes gris et bleu s’entretuent. Une partie est romancée, d’autre sont des extraits de journaux ou de lettres traduites par l’auteur lui même voir de publicités de propagande des deux parties, le tout forme un récit cohérent dont la lecture est fluide voire addictive. C’est aussi un texte qui m’a surprise : j’ai été étonné de découvrir qu’il y avait des femmes soldat durant la guerre de sécession, aussi bien blanches que noires, gradées ou non, que le premier sous-marins militaire y a participé et que lors des premières batailles, des gens étaient venu assister au « spectacle ».

« Le bras de l’esclave est la meilleure défense contre le bras de l’esclavagiste. »
Frederick Douglas.

« Si tu entends les chiens, continue. Si tu vois les torches dans les bois, continue. Si tu entends des cris derrière toi, continue. Ne t’arrête jamais. Continue. Si tu veux gouter à la liberté, continue. »
Harriet Tubman

Bien que ce récit soit romancé, c’est un livre d’une remarquable neutralité où Jean-Laurent Del Socorro nous brosse un portrait sans parti pris sur un conflit fratricide qui confine parfois à l’absurde. Ce coté absurde est particulièrement bien mis en avant par les dialogues entre la Mort et Lincoln pendant lesquels on découvre toute l’ambiguïté de Lincoln fasse à sa décision d’abolir l’esclavage. Et les thèmes abordés sont riches, au-delà du racisme, l’auteur nous parle également de devoirs, de liberté, de féminisme et d’homosexualité.

– Dans un mois , la chambre du congrès se réunira. Nous voterons son abolition.
– En es-tu certain, Abraham ?
– De la fin de la guerre ou celle de l’esclavage ?
– Des deux. Quand tout ceci arrivera-t-il enfin à son terme ?
[…]
– Bientôt. Bientôt…

Au final, Je suis fille de rage est un très beau roman historique aussi bien par la qualité de son récit, sa construction polyphonique que sa magnifique édition. Pour moi, une très belle découverte de la plume de Jean-Laurent Del Socorro et surtout un livre à mettre entre toutes les mains !

12 commentaires

  1. Je n'ai pas – encore – lu celui-ci, mais à chaque fois que j'en lis une chronique positive je me délecte par avance !
    Et quelle chance, tu as encore "Royaume de vent et de colères" à découvrir. *_*

    • Comme tu n'es pas le premier à me faire cette remarque c'est surement qu'il va falloir que je me penche sur ce livre… surtout qu'il y a une toute belle édition maintenant XD

  2. Encore une chronique qui donne envie… heureusement qu'il n'y pas trop de festivals en ce moment, je ne vais pas craquer tout de suite xD

  3. Il est dans ma PAL celui-ci, même si sa lecture n'est pas pour de suite. Et comme Baroona, je conseille Le Royaume de vent et de colère !

  4. Ce livre est un petit bijou! Je te conseille vivement les autres romans de l'auteur qui sont d'une qualité toute aussi impressionnante même si la fresque historique est moins impressionnante (quoique…).

    • J'ai noté qu'il fallait que je lise de Le royaume de vent et de colère 😉

    • … alors je pense que tes doigts en ont fait qu'à leur tête sur le clavier… j'ai moi aussi beaucoup aimé découvrir cette tranche d'histoire américaine que je connaissais très peu 😉

    • Je suis clairement ravie de ma rencontre avec cet auteur ! Je me laisserai surement séduire par d'autres titres 😉

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