Les pilleurs d’âmes de Laurent Whale

Nouvelle chronique invitée pour Jean-Yves avec cet fois-ci un livre paru dans la collection poche des Indés de l’Imaginaire et un auteur francophone : Les pilleurs d’âmes de Laurent Whale qui a reçu le prix Rosny Ainé 2011.

Terre, 1666. La galaxie abrite déjà des civilisations avancées, pourtant, c’est sur la planète bleue que vont s’affronter deux espions intergalactiques.
L’un d’eux, qui se fait bientôt appeler Yoran Le Goff, intègre l’équipage d’un des plus sanguinaires flibustiers : Jean-David Nau, dit L’Olonnais. Entre amitiés, alliances de circonstance et trahisons, Le Goff tentera de débusquer le mystérieux adversaire qu’il est venu traquer. Pour découvrir ses plans, mais aussi pour l’éliminer. Seulement, parmi la flibuste, comme dans les étoiles, rien n’est écrit d’avance et la mission de l’espion sent très vite la poudre. Jusqu’à l’explosion finale…

J’ai découvert Laurent Whale il y a deux ans avec le très bon Les étoiles s’en balancent, essai transformé ensuite par la lecture du recueil Crimes, aliens et châtiments dont il écrit une nouvelle. La réédition de ce livre primé, avec un thème suffisamment accrocheur pour moi, était l’occasion de continuer cette exploration. Et j’ai encore été largement conquis.

L’histoire se déroule en 1666, à la fin du Siècle d’or espagnol, dans les Caraïbes. François l’Olonnais – personnage qui a réellement existé, connu pour sa cruauté – recrute des hommes d’équipage pour enchainer les pillages, plus audacieux et violents les uns que les autres. Il n’est toutefois pas seul à recruter : une mafia intergalactique, les Cartels, s’intéresse à la Terre pour la piller aussi, mais de ses individus prometteurs pour les exploiter en dehors de toutes lois. Il s’agit donc bien d’un récit de Science-Fiction.

Le héros, qui prend l’alias de Yoran Le Goff, est un « extraterrestre » (à priori humain, ou dans tous les cas très proche de l’espèce humaine), chargé d’identifier, neutraliser le recruteur des Cartels, et produire les preuves de leurs agissements, sans interférer dans les affaires des autochtones. Notre espion s’enrôle dans l’équipage de l’Olonnais pour les besoins de son enquête. Lui, membre d’une « civilisation avancée », est confronté à cette époque terrible, durant laquelle gloire et violence, sang et rhum, or et poudre, sont les ingrédients de cette époque qui nous fait, ou nous a fait, rêver.

Lier SF et récit de piraterie aurait pu paraître dangereux. En effet, intégrer des éléments technologiques dans un contexte historique peut vite virer à la série B, voire franchement Z, en enchainant les solutions de facilité narratives – la technologie triomphe toujours – et en faisant passer les « autochtones » – ici les habitants de 1666 – pour des idiots candides impressionnés par ce qu’ils perçoivent comme de la magie.

De plus, c’est aussi risquer la comparaison avec l’excellent Le Déchronologue de Stéphane Beauverger ; risque que l’on peut balayer : les romans se complètent tout à fait, sans aucune redondance. Surtout, piraterie et Space Opera sont des univers dans lesquels nous baignons tous, dès notre enfance, et souvent chargés de très fortes représentations, notamment une touche de « romantisme pulp ». Il faut donc écrire quelque chose d’original, capable de dépasser les clichés, ou de jouer avec. Laurent Whale relève ces défis haut la main et prouve la parfaite pertinence de regrouper ces deux univers, en faisant le choix de se focaliser sur les invariants.

Nau a un vague sourire :
–  Nous allons rejoindre l’Anglais John Evans qui nous attend déjà au large.
Cette fois, c’est le délire. À ce qu’il semble, le dénommé Evas jouit, lui aussi, d’une certaine réputation au sein de la confrérie.
Le sifflet retentit de nouveau, envoyant les gabiers dans les vergues et le reste d’entre nous aux cabestans. Une demi-heure plus tard, dans une ambiance de joie sauvage, la Providence cingle vers le large toutes voiles dehors.
Expérience intéressante que cette navigation archaïque, lente certes, mais pas désagréable. J’ai déjà utilisé nombre de moyens de transport primitifs. Parfois même farfelus, tels les chiens volants de Sandreflol, ou les Snarks fouisseurs sur Talmirande, et j’y trouve généralement beaucoup de plaisir. Celui-ci ne déroge pas à la règle. Le charme est créé par le contact avec les éléments.
Dans nos vaisseaux automatisés, nous ne sommes, en fait, que les parasites de la machine qui nous dépasse en tout. (page 51)

Le premier niveau de proximité, le plus évident, est celui du vocabulaire et de l’organisation générale. Un vaisseau peut être spatial, ou un bateau ; une planète ou une côte sont deux territoires à relier dans des conditions de sécurité plus ou moins grandes. Les deux espions arrivent à se fondre avec une grande facilité dans ce système où l’on fait peu de cas du passé, où c’est finalement la preuve en action qui compte. La description de la société SF ressemble à s’y méprendre à celle du XVIIe siècle : un empereur, des pirates de l’espace, une hiérarchie militaire. Pour les plus âgé.e.s des lecteurs et lectrices, la proximité entre ces deux mondes est déjà connue depuis longtemps, pour celles et ceux qui se souviennent de Captain Harlock, plus connu sous le nom d’Albator.

Le héros illustre pleinement ce souvenir d’enfance, ce qu’évoque la piraterie. Au début, il est plutôt sous le charme du cadre de vie et des pirates. Leur capacité à s’amuser, à vivre la vie pleinement, au jour le jour et sans attaches, à prendre des risques, semble fasciner Yoran. Laurent Whale retranscrit habilement l’ambivalence entre fascination et répulsion. Mais quand les pillages s’enchaînent, avec leurs lots de massacres gratuits, ce romantisme s’estompe. Le héros finit par se dégouter lui-même quand il est obligé d’y participer, entre mission secrète à accomplir et goût pour l’adrénaline, comme si son « vernis de civilisation supérieure » s’écaillait sous l’action du sel et du sang.

La société dont il vient n’est d’ailleurs pas exempte de ces tares quand les Cartels gagnent de plus en plus d’influence. Finalement, il s’agit d’un récit de convergence, où le « civilisé », dans un contexte qui n’est pas le sien et privé de ses artefacts technologiques se bat pour garder la tête hors de l’eau, au sens propre et figuré. L’ultime scène est d’ailleurs cocasse, et montre que l’on peut toujours tomber à terre et que la hiérarchie ne signifie finalement pas grand-chose.

La plume de l’auteur sert parfaitement le propos. Laurent Whale écrit très bien, et varie son style d’écriture en fonction des chapitres et des décors. Lors des scènes de combat, il utilise les cinq sens pour ses descriptions et on vit littéralement la bataille avec le héros. La structure des phrases, très courtes, mais aussi avec des ellipses, correspond au rythme de l’affrontement, aux moments où la conscience s’estompe pour supporter l’atrocité du massacre, où les réflexes priment sur l’analyse.

Le récit est majoritairement construit à la première personne, ce qui favorise l’identification. Quand Laurent Whale nous raconte une tempête, un incontournable du récit de piraterie, on ressent sa puissance, on imagine parfaitement ce qu’elle peut avoir d’effrayant et de merveilleux. Certaines parties, davantage liées à la partie SF, sont même écrites à la deuxième personne du pluriel, et sont par conséquent encore plus immersives. Laurent Whale est arrivé parfaitement à unir récit d’aventure et de science-fiction en montrant les passions, parfois excessives, des pirates… et des Hommes.

Vous aimerez si vous aimez les pirates, l’aventure, les passions, mais aussi leurs parts d’ombre.

Les +

  • L’écriture
  • La rencontre entre deux mondes, si lointains et si proches
  • Les personnages, hauts en couleur

Les –

  • Beaucoup de coquilles et de soucis de typo dans cette version
  • La couverture, qui me plait beaucoup moins que les précédentes

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