Sauter des gratte-ciel de Julia Von Lucadou

En ce moment je me pose beaucoup de questions sur le blog, mon approche du blogging, les livres que je choisis de mettre en avant ici ou pas, et ma façon de chroniquer… je pense que ma manière de lire et mes envies ont beaucoup évolué et j’aimerai que cela se voit au niveau du blog. Une réflexion qui ne fait que commencer mais dont je vous parlerai surement bientot de manière plus approfondie.
Mon choix de lire Sauter des gratte-ciel de Julia Von Lucadou était guidé par une envie de découvrir un livre dont je n’avais pas encore entendu parler et dans lequel je me lançais sans a priori, d’autant moins que c’est un premier roman. Étonnement (ou pas), ça m’a fait un bien fou et j’ai beaucoup aimé ma lecture. Je vais essayer de vous dire pourquoi.

Dans un futur proche, dans une mégalopole hyper connectée, règne le culte de la transparence : tout est filmé, liké, évalué, commenté en direct, tandis que la société prône l’optimisation du corps et de l’esprit. Des jeunes gens qui sautent en Flysuit du haut des gratte-ciel, se rattrapant à la dernière seconde avant de toucher le sol, sont adulés et jouissent des privilèges réservé aux plus performants (et aux plus obéissants). Riva Karnovsky est l’une d’entre eux. Or, inexplicablement, elle décide d’arrêter de sauter. Une jeune psychologue est alors chargée de la remettre dans le « droit chemin »…

La collection Exofictions des éditions Actes Sud est une collection que j’aime beaucoup notamment parce qu’elle me permet de découvrir des auteur.ice.s étrangers non anglophones. Sauter des gratte-ciel est le premier roman de Julia Von Lucadou, autrice allemande. Une dystopie « technologique » qui n’est pas sans rappeler Bonheur TM de Jean Baret.

Everything’s gonna be okay TM

Tout commence avec Riva. Riva est une star dans son domaine, une athlète de Highrise-Diving TM. Un sport qui consiste à sauter du haut d’un gratte-ciel en effectuant des figures avant de se réceptionner et de se ré-envoler. Alors qu’elle est parmi les meilleurs athlètes de cette discipline, Riva plonge dans un état presque catatonique et refuse dorénavant de sauter. Une entreprise : PsySolution est alors mandatée pour résoudre le problème et la psychologue Hitomi Yoshida, nouvellement embauchée, est nommée responsable de ce projet. Dans une société où la transparence est la norme, Riva est observée nuit et jour par Hitomi dans le but de comprendre son comportement et de l’amener de nouveau à sauter.

Une société hyper connectée où tout est règlementé, traité, catalogué et où les individus sont récompensés ou sanctionnés en fonction de leurs résultats de travail, de loisirs, de vie privée. C’est une dystopie que nous propose l’autrice comme une « dystopie de la bienveillance ». Alors que la technologie est là pour aider et soutenir les personnes afin que le corps et l’esprit soient en harmonie, l’autrice nous dévoile au fur et à mesure le dessous de cette approche où la technologie est aussi un espion qui vous dénonce à la première incartade.

Comme une majorité de dystopies, nous ne savons pas comment la société en est arrivée là et en terme de géographie, le lecteur est limité à la Ville et ses Périphéries. L’autrice dévoile cependant certains pans de cette société par petites touches : le contrôle des naissances, la cellule familiale tabou, les castings pour sélectionner les enfants utiles pour la société, les crédits qui permettent de trouver une logement plus ou moins hauts dans les gratte-ciel symbolisant la réussite, les unions programmer en fonction des profils de chacun.

Andorra avait toujours eu un score d’adaptabilité inférieur au mien. Mais à la fin, il était même en deçà du minimum requis. Lors de nos contrôles hebdomadaires de performance, elle obtenait régulièrement des points de pénalité et des devoirs supplémentaires. On menaçait de l’exclure, et j’avais peur qu’il ne s’agisse pas de paroles en l’air, comme l’affirmait Andorra. On ne cessait de nous répéter qu’une bonne capacité d’adaptation était essentielle pour réussir sa vie.

A travers les vies croisées de Riva et Hitomi, Julia Von Lucadou décrit ascension, succès et déchéance de cette vie sous surveillance. Un récit qui m’a paru sans temps morts et pourtant il ne se passe pas grand chose. Le lecteur observe Hitomi qui observe Riva. L’une semble inaccessible tandis que le lecteur accompagne Hitomi dans son étude digne des meilleures téléréalités.

Le petit coté un peu barré du roman avec ses injonctions au bien être et au bien vivre le tout en Trademark in English m’a fait penser à Bonheur TM de Jean Baret et ses injonctions à la consommation. Clairement moins violent dans son approche que Jean Baret, Julia Von Lucadou joue sur les mêmes créneaux et nous montre les travers d’une société hyper connectée qui sous couvert de bienveillance cadre les individus pour les pousser vers la performance dans tous les domaines tout en les contraignant à prendre soin d’eux. Cela donne un contexte étonnant et l’autrice arrive à construire un récit intrigant pratiquement à huis-clos qui accroche le lecteur.

Sauter des gratte-ciel fut une très bonne lecture. Sans révolutionner le style dystopique, l’autrice y insuffle un vent différent. J’ai lu ce roman d’une traite et je l’ai trouvé à la fois rafraichissant dans les idées développées que délicat dans sa construction des personnages. Julia Von Lucadou propose un premier roman SF de qualité et je serais très curieuse de lire les prochains.

9 commentaires

  1. Je ne suis pas très dystopie alors je ne suis pas le public pour ce genre de titre. En revanche ce que tu dis sur les petites touches d’originalité introduites dans un genre vu et revu m’intéresse pour le conseiller à des fans du genre 😉

    • Effectivement faut quand même aimer un minimum les dystopies XD
      J’avais eu une overdose de dystopie YA il y a quelques années mais là c’est plus adulte et j’ai bien aimé la construction du roman. Après faut pas s’attendre à de l’action, il n’y en a pas XD

  2. « l’autrice y insuffle un vent différent » : la baffe de vent qu’on prend en sautant d’un gratte-ciel ? ^^
    Bon, dystopie c’est un peu le mot qui fait peur. Mais vu ce que tu en dis, je le note quand même en « pourquoi pas », ça a l’air d’avoir une ambiance à soi.

    • Cet humour que j’arrive à insuffler à ma chronique sans le vouloir XD
      Oui je sais dystopie c’est plus trop à la mode : trop de livres pas top mais là je trouve que l’autrice a construit un roman franchement interessant. J’ai vraiment bien aimé moi 😉

  3. Ha ça me rend curieux rien que pour ça : « pousser vers la performance dans tous les domaines tout en les contraignant à prendre soin d’eux ». ça m’évoque fortement les doubles injonctions de productivité/bien être sur lesquels surf le développement personnel et rien que pour ça, ça m’intrigue ! 🙂

  4. Intriguée je suis! Comme dit Shaya, en plus de la SF allemande c’est pas tous les jours qu’on en trouve donc ça peut être intéressant. L’univers en tout cas m’intéresse beaucoup.

    • J’étais pareil très intriguée par ce titre.
      C’est une titre un peu comme Rivages de Gauthier Guillemin assez contemplatif, il ne se passe pas grand chose mais j’ai trouvé que l’autrice avait réussi à rendre le récit captivant.

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