La quête onirique de Velitt Boe de Kij Johnson

Il y a des titres qui titillent ma curiosité sans que je me laisse complètement convaincre et puis parfois, c’est une sortie poche qui finit de me faire craquer. Ce fut le cas avec La quête onirique de Velitt Boe de Kij Johnson. Ce court texte m’avait déjà interpellé à sa sortie chez Le Bélial’ avec la belle couverture de Nicolas Fructus mais c’est sa sortie chez J’ai Lu Imaginaire que ce roman a atterri dans ma PAL.

Clarie Jurat a disparu. Nul ne sait où, mais il semblerait qu’elle se soit enfuie en compagnie d’un homme… un homme venu du monde de l’éveil. Au sein du Collège de femmes d’Ulthar, c’est la consternation : pareille fugue pourrait remettre en cause l’existence même de l’institution. Pour Vellitt Boe, le temps est venu d’abandonner ses atours confortables de professeure vieillissante au profit de sa défroque oubliée de voyageuse émérite ; retrouver son élève est impératif. Une quête qui la conduira loin, bien plus loin qu’elle ne l’imagine, d’Ulthar à Celephaïs, au-delà même de la mer Cérénarienne, jusqu’au trône d’une ancienne connaissance, un certain Randolph Carter…

Après avoir beaucoup apprécié la novella parue dans la collection Une Heure Lumière Un pont sur la brume de la même autrice, j’avais envie de découvrir plus avant la plume et l’univers de cette autrice assez confidentiel dans sa production, La quête onirique de Velitt Boe est le deuxième roman de l’autrice traduite en français.

Dans La quête onirique de Velitt Boe, nous rencontrons Velitt Boe, enseignante quinquagénaire au Collège pour femmes d’Ulthar. Au début du roman, Velitt apprend, en pleine nuit, la disparition d’une de ses meilleures élèves. Celle-ci se serait enfuie avec un « Rêveur » qui souhaiterai la faire passer dans son monde, c’est à dire le notre. Il ne faut pas longtemps à l’énergique enseignante pour décider d’agir. Surtout qu’elle se doute du chemin pris par les amoureux car il n’existe qu’un nombre limité de passages entre les deux mondes. Velitt est d’autant plus concerné par cette disparition qu’elle met en péril l’institution même où elle enseigne : l’éducation ouverte aux femmes étant une « nouveauté » plus ou moins bien accepté, il n’en faudrait pas plus à certains pour décréter la fermeture de l’école.

Départ en toute discrétion et à pied, compagnie féline en prime, Velitt reprend la route comme des décennies plus tôt lorsqu’elle voyageait dans toute les contrées du rêve.
Cette quête qu’entreprend l’enseignante va être l’occasion pour le lecteur de découvrir cette contrée étrange où se mélange monde banale et phénomènes extraordinaires.

– Jurat est adulte et amoureuse. Elle peut faire ce qu’elle veut de sa vie, j’imagine. Qu’y a-t-il de mal à cela ?
Ce qu’il y a de mal à cela, rugit Velitt, c’est que son père peut obtenir la fermeture du Collège…
– Il ne ferait jamais une chose pareille ! la coupa Hurst, atterrée.
– … voire bannir les femmes de l’Université. Alors, vous comprenez enfin ? Quelle est l’adresse de cet homme ?

La quête onirique de Velitt Boe est une adaptation du texte La quête onirique de Kadath l’inconnue de H.P. Lovecraft. Les adaptations lovecraftiennes sont nombreuses ces dernières années : le maitre de l’épouvante étant particulièrement à la mode. Le récit que propose Kij Johnson est à la fois une adaptation mais également une réinterprétation. Un récit intelligent qui prend à contre-pied l’œuvre de Lovecraft en mettant des femmes indépendantes à l’honneur là où elles étaient complètement absentes.

Bien que le texte soit accessibles aux néophytes, je pense que des connaissances des textes de Lovecraft sont tout de même nécessaires pour appréhender l’ensemble des références et clins d’œil qui parsèment le récit. Personnellement, n’ayant pas lu le texte original mais ayant lu plusieurs textes de Lovecraft, j’ai réussi à comprendre certaines références mais clairement pas toutes.

Elle n’avait jamais vu de rêveuses. Pas la moindre. Un jour, elle avait demandé pourquoi à Randolph Carter.
 » Les femmes ne rêvent pas en grand » avait-il répondu, dédaigneux. « Elle rêvent de bébés, de tâches ménagères… De tous petits songes. »

Encore une fois, Kij Johnson nous offre un roman avec un coté très onirique de circonstance qui se retranscrit dans son écriture : poétique et légère. Ce récit au féminin est un voyage qui permet à l’autrice de dresser par petites touches un portrait des relations homme / femmes de ce monde. L’éducation des femmes est tolérée, il n’y a pas de Rêveuses car « les femmes ne rêvent pas en grand » et Velitt se félicite même de n’avoir été violée qu’une fois lors de ces années de voyage.

D’un autre coté, elle dessine le contours d’une héroïne forte mais accessible, élevée par son père alors que sa mère vogue sur les bateaux acceptant des femmes dans leurs équipages, qui à 20 ans décide d’arpenter seule les contrées du rêves et qui devient professeur dans la seule université qui accepte les femmes. C’est cet ensemble qui fait de ce récit une lecture agréable avec ce qu’il faut d’étrangeté pour attiser la curiosité du lecteurs.

– Toutes ces étoile… » Elle avait soupiré, pensive. « Est ce qu’elles possèdent des dieux ? Qui passent leur temps à s’annihiler, comme les nôtres ?
– Ce n’est pas pareil, dans le monde réel. »
il parlait de la Terre, bien sûr.
Elle avait tenté de visualiser la chose.  » Si le ciel est infini, pourquoi venir ici ? Vous avez des milliards d’étoiles rien que pour vous !
– Notre monde n’a aucun élan, aucune ampleur, avait-il répondu. Pas la moindre poésie ténébreuse. Les astres sont hors de portée. Même la lune est à des centaines de milliers de kilomètres ! Ces étoiles n’ont aucun sens.
– Doivent-elles en avoir un ? « avait-elle alors murmuré.

La quête onirique de Velitt Boe est une belle occasion de retrouver la plume de Kij Johnson après avoir lu Un pont sur la brume. C’est aussi un récit lovecraftien au féminin où réel et rêves se côtoient et se mélangent pour offrir un récit étrange et engagé. Une belle lecture au format court.

10 commentaires

  1. J’avais beaucoup aimé ce texte. La plume poétique de Kij Johnson fonctionne à merveille avec moi.
    Ravi que le voyage t’ai plu 🙂

  2. Le fait que ça soit de Kij Johnson m’empêche d’affirmer que je ne le lirai jamais, mais il y a pas mal de choses qui ne m’attire pas vraiment, et en premier lieu tout ce qui a trait à Lovecraft. Et comme en plus tu dis que les références comptent…

  3. J’ai découvert la plume dans le dernier hors-série UHL et je suis clairement en demande d’autres textes de l’autrice. Malheureusement je manque vraiment de références chez Lovecraft je pense… J’avoue que ça me fait hésiter.
    PS: c’est un plaisir de te relire 🙂

  4. J’ai bien aimé aussi, même s’il ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. En tout cas, je l’ai trouvé beaucoup compréhensible que le Kaddath de Lovecraft, que j’ai relu juste avant.

  5. J’avais beaucoup aimé, en plus la version illustrée est sublime *-*
    J’avais comparé avec la nouvelle de Lovecraft, c’est instructif en effet même si la novella se suffit à elle-même (après j’ai du mal à accrocher à Lovecraft donc…)

    • Je regrette un peu de ne pas avoir eu la version illustrée surtout après avoir lu Harrison Harrison dont j’ai adoré les illustrations de Nicolas Fructus.
      Je n’ai pas lu la nouvelle de Lovecraft mais bon, comme tu le dis le texte de Kij Johnson se suffit à lui-même 😉

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