💖 Semiosis de Sue Burke

Mon premier livre de la #rentreelitteraire2019 fut Semiosis de Sue Burke qui est paru hier chez Albin Michel Imaginaire. Premier roman de l’autrice et, bien que le roman puisse se suffir Ă  lui-mĂȘme, premier tome d’une duologie dont le second tome Interference paraitra en Octobre en VO. A l’origine de ce roman, il y a une nouvelle Ă©crite par l’autrice : Adaptation (1999) et qui compose le premier chapitre du livre. 
Vous pouvez retrouver une interview de l’autrice concernant son roman sur le site d’Albin Michel Imaginaire (Ă  ne lire qu’aprĂšs le roman pour ne pas vous spoiler). Je remercie d’ailleurs Albin Michel Imaginaire pour ce SP.

Ils sont cinquante – des femmes, des hommes de tous horizons. Ils ont
dĂ©finitivement quittĂ© la Terre pour, au terme d’un voyage interstellaire
de cent soixante ans, s’établir sur une planĂšte extrasolaire, qu’ils
ont baptisé Pax. Ils ont laissé derriÚre eux les guerres, la pollution,
l’argent, pour se rapprocher de « la nature ». Tout recommencer.
Retrouver un équilibre définitivement perdu sur Terre. Construire une
Utopie.
Mais avant mĂȘme de fonder leur colonie, des drames mettent Ă  mal leur
idĂ©al. Avarie sur une capsule d’hibernation, accident d’une des navettes
au moment de l’atterrissage. Du matĂ©riel irremplaçable est dĂ©truit. Les
morts s’accumulent.
La nature est par essence hostile et dangereuse ; celle de Pax,
mystérieuse, uniquement végétale, ne fait pas exception à la rÚgle.
Pour survivre, les colons de Pax vont devoir affronter ce qu’ils ne comprennent pas et comprendre ce qu’ils affrontent.

Semiosis nom fĂ©minin invariant en nombre. Linguistique. Relation entre le signe, le signifiant et le signifiĂ©. DĂšs fois que comme moi, vous vous poseriez la question du pourquoi d’un tel titre alors que ce mot n’est jamais employĂ© dans le livre mais qui plante le dĂ©cor dĂšs le dĂ©part.

Semiosis est un Planet Opera dont le thĂšme principal : la colonisation d’une nouvelle planĂšte, a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© abordĂ© Ă  de nombreuses reprises en SF. Avant de lire Semiosis, j’Ă©tais plongĂ© dans BIOS de Robert Charles Wilson : deux Planet Opera, deux histoires de colonisation d’un monde inconnu mais plein de vie, deux façons trĂšs diffĂ©rentes d’aborder les thĂšmes de l’Ă©cologie et de la comprĂ©hension inter-espĂšce. Ce que je veux dire c’est que bien que les thĂšmes abordĂ©s par Sue Burke puissent sembler peu originaux, le roman se rĂ©vĂšle en fait Ă©tonnant et tout sauf tĂ©lĂ©phoner. Une rĂ©elle surprise pour moi et j’ai Ă©tĂ© conquise.

L’autrice a choisi de construire son histoire afin que chaque chapitre
nous parle d’une gĂ©nĂ©ration de colons. On y dĂ©couvre ainsi l’Ă©volution
d’une colonie humaine sur une planĂšte Ă©trangĂšre, au travers de plusieurs personnages appartenant aux
diffĂ©rentes gĂ©nĂ©rations de la colonie. 
Semiosis dĂ©bute avec un groupe de 50 personnes hommes et femmes qui, grĂące Ă  des fonds privĂ©s, quittent la Terre, sa pollution, ses guerres et ses pĂ©nuries pour construire une utopie Ă©cologiste et pacifiste sur un nouveau monde. Ce pseudo paradis se nomme Pax et ses colons partis en quĂȘte d’une vie, pas meilleure, mais plus proche de leurs aspirations, sont la premiĂšre gĂ©nĂ©ration d’une colonie humaine qui va apprendre que la nature est non seulement hostile mais qu’elle peut Ă©galement se servir d’eux pour atteindre ses buts.

Le porte-parole des noyers me donne une quantitĂ© gĂ©nĂ©reuse d’ions zinc. « Bon travail, bambouffon. Tes humains sont de bons animaux. N’oublie pas notre accord.
– A quelle distance au sud voulez-vous aller ? » Je lui envoie assez de carbure de calcium pour m’Ă©clater une radicelle.
 » Rapproche-moi d’animaux utiles, loin de toi. »
Je me rends compte que je ne suis pas la seule plante à avoir une racine humoristique. « lesquels veux-tu ?
– Les putois.
– Eteints. » A cause des bambous.
 » Les geckos dragons
– Lents, betes et venimeux. Parfaits pour toi.
– Quand je pense que les humains travaillent pour une grande herbe colorĂ©e qui donne des fruits ! Qu’est ce qu’ils te trouvent ?
– Les frugivores aiment les fruits colorĂ©s, lui dis-je. Je les traite bien. »
Il m’envoie du fructose, le sucre des fruits. Je lui expĂ©die du xylose, le sucre du bois. Avant mĂȘme de me doter d’une racine humoristique, j’avais compris que le sucre est une substance comique car sa structure chimique est excessivement tarabiscotĂ©e.

Sue Burke nous propose ici un rĂ©cit de premier contact intelligent, ambitieux mais surtout qui fait Ă©chos Ă  une actualitĂ© Ă©cologiste omniprĂ©sente, notamment dans les mĂ©dias. Les aspirations des colons, bien qu’utopistes, sont tout Ă  fait comprĂ©hensibles pour le lecteur qui s’attache aux pas de ses explorateurs aux allures de Monsieur-tout-le-monde. L’autrice nous prĂ©sente une planĂšte oĂč la vie est florissante mais dangereuse, d’autant plus que les humains qui y dĂ©barquent ignorent tout des symbioses de ce monde et des aspirations de chaque espĂšce. Sur Pax, la vie la plus Ă©voluĂ©e n’est pas animale mais vĂ©gĂ©tale. Comment les Hommes peuvent-ils comprendre les aspirations d’une plante ? Et surtout comment communiquer et cohabiter avec une espĂšce vĂ©gĂ©tale ? Une planĂšte chatoyante mais aussi exigeante oĂč la vie va s’avĂ©rer Ăąpre pour le groupe de terriens, peu adaptĂ© Ă  la gravitĂ© plus forte de la planĂšte et handicapĂ© par certains a priori terrestre, au point que l’utopie de dĂ©part ne perde tout signification devant des obstacles qui feront ressortir les plus bas instincts de certains membres.

Un roman de science-fiction particuliĂšrement intelligent et accessible. Un savant mĂ©lange de biologie, de roman d’aventure et de sĂ©rie policiĂšre qui en font un roman fin et ouvert au plus grand nombre. J’ai eu un coup de cƓur pour cette histoire de colonisation, oĂč l’autrice nous parle de solitude, de premier contact, de comprĂ©hension et d’aspiration. L’intelligence n’est pas toujours lĂ  oĂč on l’attend et la comprĂ©hension peut aller bien au-delĂ  des besoins d’une espĂšce. C’est page aprĂšs page que la plume de Sue Burke m’a convaincue, une touche fĂ©minine pour un rĂ©cit oĂč j’ai pleurĂ© et ri et qui m’a pris au tripes Ă  plusieurs moment.

Bien sur, ce roman n’est pas exempt de quelques dĂ©fauts. Le plus gros problĂšme pour moi est celui de la viabilitĂ© de la colonies en fonction du nombre d’individus qui la compose. J’avais beaucoup aimĂ© le premier tome de La romance de tĂ©nĂ©breuse de Marion Zimmer Bradley pour son explication de la validitĂ© d’une colonie humaine en fonction du nombre d’individus. L’autrice donnait au lecteur une bonne vision des problĂ©matiques rencontrĂ©es avec une communautĂ© rĂ©duite oĂč automatiquement la consanguinitĂ© guette. Dans les premiers chapitres de Semiosis, on sent que mĂȘme si l’autrice aborde le sujet comme une problĂ©matique de la colonie, le fait qu’Ă  la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration, environ un quart des enfants aient le mĂȘme pĂšre me pose question sur la possibilitĂ© pour la colonie de perdurer… On pourrait aussi mentionner un cotĂ© parfois un peu « naĂŻf » du rĂ©cit et j’ai Ă©tĂ© Ă©galement un peu gĂȘnĂ©e par le choix de l’autrice, qui contrairement a beaucoup d’autre auteur, ne rebaptise pratiquement rien sur Pax : on y retrouve des tulipes, un bambou, des noyers, des lentilles… un choix qui d’une certaine façon rend ce rĂ©cit trĂšs accessible mĂȘme si c’est peut ĂȘtre plus perturbant pour les lecteurs de SF expĂ©rimentĂ©s. Mais malgrĂ© ces quelques remarques, j’ai trouvĂ© ce premier roman particuliĂšrement rĂ©ussi.

L’eau c’est la vie. En tout cas, c’est ce que disent les plantes. Je n’ai pas discutĂ© de croyances spirituelles avec les humains, mais ils cĂ©lĂšbrent les Ă©quinoxes et les solstices, se livrent Ă  des observations minutieuses des Ă©toiles, et chaque Ă©toile est un soleil. Je soupçonne que les humains rĂ©vĂšrent implicitement le soleil. L’ensoleillement Ă©tant prĂ©visible, le soleil est un objet de rĂ©vĂ©rence qui convient Ă  des ĂȘtres cycliques tels que les animaux. L’eau est vĂ©nĂ©rĂ©e par les plantes non parce qu’elle est indispensable mais parce qu’elle est imprĂ©visible : inondations et sĂ©cheresses.

Semiosis est Ă  la frontiĂšre de beaucoup d’autres rĂ©cits. On y retrouve un peu de Nausicaa et la vallĂ©e du vent d’Hayao Miyasaki mais aussi du cycle de l’Ekumen d’Ursula LeGuin. On y parle de survie et de partage mais aussi de la mort inĂ©luctable Un roman Ă©cologiste oĂč les plantes se servent des humains et les humains dĂ©pendent des plantes. Sue Burke nous parle avec beaucoup de dĂ©tails du fonctionnement de ce monde magnifiquement dangereux oĂč des batailles invisibles font rage pour survivre et prospĂ©rer. Laissez-vous tenter par ce voyage et venez faire la connaissance de Stevland le bambou arc-en-ciel, jouer Ă  travailler avec les fippochats et cohabiter avec les noyers, les tulipes et autres vĂ©gĂ©taux qui aiment bien avoir des animaux Ă  leur service ! En plus, une fois lu, vous comprendrez les private joke qui circulent sur twitter du genre « Fais pas ta Tulipe » ou encore « T’as pas de racine humoristique » qui autrement vous laisseront dubitatif 😉

« Et nous, qu’est ce qu’on obtient, bambouffon ? demande le porte-parole des noyers. Les intrus nous abattent. Nous aussi, nous apprĂ©cions notre relation avec les animaux de la citĂ©. Nous avons beaucoup Ă  offrir. »

Vous l’aurez compris, j’ai eu un coup de cƓur pour ce rĂ©cit qui m’a surprise et m’a fait passĂ© par une myriade d’Ă©motions page aprĂšs page. Pour moi, un des meilleurs Planet Opera que j’ai lu. Je trouve que Sue Bruke rĂ©ussit particuliĂšrement bien Ă  nous proposer un trĂšs bon rĂ©cit de Science-Fiction qui s’avĂšre aussi ĂȘtre grand public, un peu dans le genre d’Avatar de James Cameron qui se voulait de la bonne SF mais destinĂ©e Ă  un large public. Albin Michel Imaginaire nous propose une nouvelle fois un titre de SF original que je ne peux que vous conseiller ! Surtout que je veux absolument lire la suite en VF moi 😉

14 commentaires

  1. Je l'ai terminĂ© hier et je suis assez d'accord avec toi. Pour les noms des plantes, ça se comprend je trouve. J'ai beaucoup aimĂ© la narration et le fait de donner la parole Ă  Stevland. Et moi aussi j'aimerai lire la suite en français 🙂

    • Je sais pas pourquoi mais ça m'a perturbĂ© ces noms de plantes trĂšs "terriens"…
      On est d'accord la narration est un gros plus, j'adore cette idée de chapitre par génération. Hate de lire ta chronique ^^

  2. Je ne suis pas convaincue/tentĂ©e par toutes les publications d'AIM jusque-lĂ  – et leurs livres divisent souvent ! – mais celui-lĂ  fait quand mĂȘme trĂšs envie et quasiment l'unanimitĂ©.

    • C'est vrai que les avis divergent souvent mais c'est aussi parce qua AMI a choisi de publier de nouveaux auteurs ou des livres qui sortent de l'ordinaire. perso pour le moment j'ai lu 5 livres : j'ai eu deux coups de cƓur et deux livres qui m'ont beaucoup plu. Celui-lĂ  est une de mes prĂ©fĂ©rĂ©s avec American Elsewhere 😉

  3. J'ai l'impression de revivre la sortie de "Les Ă©toiles sont lĂ©gion" : un avis positif, un avis nĂ©gatif, un avis positif, … Il n'y a qu'une chose de sĂ»re : il faut le lire pour comprendre les blagues du moment, ça fait un argument de poids. =P

    • Oui les avis sont assez contrastĂ©s mais je savais que l'argument des blagues serait dĂ©terminant !

  4. Je te rejoins sur ton avis. Un roman qui contient des dĂ©fauts mais qui provoque tout de mĂȘme un coup de coeur pour sa richesse, son originalitĂ© et ses valeurs. Pour le nom des plantes (tulipes, noyers, etc.) je pense que c'est dĂ» au fait que les colons les ont nommĂ©s en fonction de ce Ă  quoi elles se rapprochaient le plus sur Terre. Enfin c'est comme ça que je le justifie dans mon esprit. Les fippochats ressemblant Ă  des chats mais Ă©tant tout de mĂȘme forts diffĂ©rents ont eu le droit Ă  un nom proche de la rĂ©fĂ©rence et nouveau Ă  la fois. Je me dis que pour les plantes ils ont chercher la simplification pour que chaque membre de la colonie comprenne de quoi l'autre parle.

    • Bon ok il y a que moi que ça a perturbĂ© alors XD
      Mais c'est vrai aussi que cette "simplification" rend le livre encore plus accessible par les personnes peu habituées au Planet Op' !

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