💀 Vie ™ de Jean Baret

Deuxième tome de la trilogie Trademark, Vie de Jean Baret nous propose comme Bonheur une nouvelle vision de notre avenir par très réjouissante. Pouvant être lu de manière totalement indépendante de Bonheur , Vie est lui aussi un vrai coup de poing dans la tronche du lecteur.
 
 

 
Sylvester Staline, citoyen X23T800S13E616, tourne des cubes colorés. Un boulot qui en vaut bien un autre, au fond, et qui a ses avantages. Son compte en banque affiche un solde créditeur de 4632 unités. Et si son temps de loisirs mensuel est débiteur de huit heures, son temps d’amitié restant à acheter est dans le vert. Sans même parler de son temps d’amour : plus de quarante-trois heures ! Une petite anomalie, c’est sûr ; il va falloir qu’il envisage de dépenser quelques heures de sexe… Mais de là à ce qu’un algorithme du bonheur intervienne ? Merde ! À moins que cela ait à voir avec cette curieuse habitude qu’il a de se suicider tous les soirs ? Il n’y a jamais trop songé, à vrai dire…
Sylvester ne le sait pas encore, mais il pourrait bien être le grain de sable, le V de la vendetta dans l’horlogerie sociale du monde et ses dizaines de milliards d’entités. D’ailleurs, les algorithmes Bouddha et Jésus veillent déjà sur lui…
 
 
Le citoyen  X23T800S13E616 alias Sylvester Staline est un citoyen lambda. Il est tourneur de cubes colorés de profession, possède une Ted qui le régénère chaque nuit, une table de nuit sur laquelle il récupère ses lentilles AugEyez et ses écouteurs AugEars à chaque réveil, un fauteuil dans lequel il passe ses journées dans un monde virtuel où il peut accéder à des forums, des hubs personnels ou public, des portails et toutes les activités mises à sa disposition (moyennant finances et crédit temps). Il a un compte en banque légèrement créditeur et des comptes loisirs, amour et amitié à dépenser chaque mois, un temps de travail à vendre et un temps de sommeil à acheter chaque jour.

Et même si son compte loisirs est débiteur alors que son compte amour est quant à lui beaucoup trop créditeur, Sylvester ni fait pas vraiment attention : il a un ami dont il peu acheter le temps d’amitié et dépenser quelques heures de sexes ne doit pas être si difficile que ça, pas de quoi en faire tout un plat selon lui mais ça ne semble pas être l’avis de l’algorithme de bonheur qui essaye d’attirer son attention dans un coin de son champ de vision. Mais de quoi se mêle-t-il celui-là ? Cela a peut être un rapport avec l’habitude qu’il a prise de se suicider chaque soir ?
 
Jean Baret utilise le même style d’écriture déjà utilisé dans Bonheur ™. Un style répétitif et lancinant qui page après page enferme son lecteur dans une vie sans but, improductive et solitaire. L’enfer c’est les autres disait Sartre mais dans Vie ™ l’enfer c’est la vie. Une vie gouvernée par les algorithmes capables d’auto-remplir des formulaires en votre nom pour vous expliquer ce dont vous avez besoin, de vous proposer des séminaires de religion nihiliste pour vous aider à trouver le bonheur et de vous imposer des travaux d’intérêt général quand vous n’avez pas su correctement gérer vos temps d’amour et d’amitié.

 

Rapidement dans la coin gauche de sa vision, un petite image clignote. C’est son ami à louer WM23456YY12, qui veut continuer leur amitié tarifiée 200 creds de l’heure, et il cligne.

 

Un roman bourré de références culturelles, sociologiques et philosophiques (que je n’ai certainement pas toutes relevées) car oui le style est répétitif mais d’infime variations s’invitent constamment dans ce récit comme pour dire au lecteur : vous suivez ? Jean Baret nous décrit une société sclérosée dans son fonctionnement, strictement égalitaire, hautement technologique mais où pratiquement aucune création n’est possible. Tout n’est que réutilisation et détournement des contenus culturel des siècles passés en témoigne les noms des citoyens : Sylvester Staline, Simone de Bavoir, Georges Bouche et les reconstitutions hystériques que notre citoyen apprécie particulièrement tout comme les vieilles licences Star Wars ou La petite maison dans la prairie . Tout, absolument tout, est marketé dans le monde de Jean Baret, même Bouddah et Jésus Christ, que vous pouvez louer sous forme d’émulateur.

 

… il cligne sur une des images et ça lance le jingle Epic Rap Battle of history et la vidéo envahit son champ de vision et on voit une reconstitution des méfaits de Hitler d’un coté et de Darth Vader de l’autre et, sur fond d’images d’archives numérisées en trois dimensions, il se retrouve au milieu d’un reportage sur la seconde guerre mondiale qui parvient en cinq minutes, à grand renfort de musique rythmée, à retrascrire à tout vitesse le pourquoi et le comment de cet épisode traumatique du milieu du 14e siècle hégirien ou encore du 20e siècle grégorien, puis, pour permettre au spectateur de prendre la mesure de ce grave moment historique, s’enchaine la comparaison avec Darth Vader , le dictateur des films Star Wars , et s’ensuit un récapitulatif rigolo des nombreux méfaits du personnage, présentation qui permet en cinq minutes de comprendre le pourquoi do comment Dath Vader est devenu si monstrueux, puis un long parallèle est organisé pour forcer le spectateur à s’interroger sur ce qui est le plus grave , les camps de concentration ou l’Étoile Noire .

 

Mais d’ailleurs en quel siècle est-on ? Que se passe-t-il à l’extérieur ? Qui sont les gouvernants : président, reine ou empereur ? Ce sont les questions qui vont peu à peu germer dans l’esprit du citoyen X23T800S13E616 et qui vont transformer notre citoyen lambda en grain de sable dans les rouages des algorithmes. L’information ne semble pas bloquée dans ce monde mais elle n’est juste pas attirante pour la quasi-totalité des personnes… à
quoi bon savoir ce qui se passe à l’extérieur quand tout ce dont on est censé avoir besoin est à portée de clique ?

 

« J’ai une question. »
Aussitôt un algorithme apparaît, être chauve et sans visage revêtu d’un costume noir, chemise blanche, cravate noire qui dit :
« Bonjour citoyen X23T800S13E616. Je suis l’algorithme 693467796957927 mais vous pouvez m’appeler ALGO 693. Que puis-je pour votre service ? »
Sylvester dit :
« Je souhaiterai connaître la distance entre ces deux zones. »
Il pointe machinalement du doigt la suite de caractères sur laquelle il cligne, et ALGO 693 dit :
« La distance entre les zones est de 38283 kilomètres. »
Plus de trente-huit mille kilomètres ? Ca fait une sacrée distance. Tant qu’à avoir affaire à un algorithme, il dit :
« Et… euh, qui est le chef de ces zones ? »
ALGO 693 dit :
« La zone ZknR4247L5FjK9Qbqey8 est autocentrée. La zone MXrb59HLA6Zb59hr67tL est bicamériste symbiotique à vocation logarithmique. »

 

Page après page, Jean Baret, à force de répétition narrative, m’a rendu complètement claustrophe. On sent l’univers se rétrécir et vous coller à la peau sans aucune échappatoire, le malaise grandit chez le lecteur et on finit par se demander mais à quoi bon ? Et arrive le final… qui m’a prise complètement à contre pied et que j’ai trouvé géniale dans sa simplicité. Vie reste pour moi une lecture dérangeante de bout en bout, entre Les monades urbaines de Robert Sylverberg et la trilogie Matrix, mais qui fera partie des livres qui auront marqué mon année 2019. Un roman encore une fois hors des sentiers battus qui parle du futur de notre société d’une manière aussi oppressante que déprimante ! Un livre coup de poing qui ne peut pas laisser indifférent.

 

Remember, remember the fifth of November.

 

7 commentaires

  1. Excuse-moi, mais est-ce que tu n'en aurais pas eu quelque chose à foutre de ce livre ?
    (oui, je tente des références sans avoir lu le livre, je suis comme ça ; comme quoi lire, ça ne sert vraiment à rien. =P)

    • Oui je me rappelle.
      Vie TM est beaucoup moins violent que Bonheur TM si jamais tu changes d’avis 😉

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