Quality Land de Marc-Uwe Kling

Première chronique de la rentrée littéraire 2021 avec le titre de la collection Exofictions des éditions Actes Sud : Quality land de Marc-Uwe Kling. Un titre dont la couverture donne le ton : une dystopie satirique avec une touche d’humour qui accroche le lecteur, c’est une expérience de lecture fort sympathique. Bienvenue à Quality Land !

Bienvenue à QualityLand ! Dans le futur, tout fonctionne à merveille : les algorithmes se chargent d’optimiser le travail, les loisirs et les relations. QualityPartner sait qui te correspond le mieux. Ton véhicule autonome sait où tu veux aller. Et si tu es inscrit sur The Shop, on t’envoie tous les articles que tu désires sans que tu doives les commander. Plus personne n’est obligé de prendre des décisions difficiles – car à QualityLand, il n’y a qu’une seule réponse à toutes les questions : ok. Pourtant, le ferrailleur Peter est taraudé par l’impression que quelque chose cloche dans sa vie. Dystopie satirique époustouflante et drôlissime sur les promesses et les pièges du numérique, « QualityLand » a connu un immense succès en Allemagne et dans le monde entier.

Après Sauter des gratte ciel de Julia Von Lucadou paru en Mai dont vous avez pu lire la chronique (assez élogieuse) sur le blog qui nous proposez une dystopie de la bienveillance, les éditions Actes Sud publie un autre auteur allemand Marc-Uwe Kling dans un style science-fictif également entre dystopie et anticipation mais cette fois-ci dans un style satirique.

A Quality Land, qui ressemble furieusement au futur de l’Allemagne, les algorithmes se chargent de votre bonheur. Ils savent ce qu’il vous faut, ce qui vous intéresse, ce que vous avez envi de faire, où vous vous allez mais aussi quel partenaire vous convient. Plus de décision à prendre, tous les questions n’ont qu’une seule réponse : OK. Dans ce meilleurissime des mondes, Paul Chômeur (car chaque personne reçoit comme nom de famille celui du métier de ses parents au moment de sa naissance) est ferrailleur et, lui, des questions commencent à le tarauder. Il va jouer le rôle du grain de sable dans l’algorithme bien huilé.

« Je suis navré, dit le véhicule, mais les nouvelles directives de l’assurance ont classé votre quartier en zone à risque pour les véhicules autonomes de ma catégorie. Vous comprendrez que je sois dans l’obligation de vous demander de descendre ici.
– Hein?demande Peter avec éloquence.
-Vous êtes censé le savoir, dit Carl. Vous avez reçu les nouvelles conditions générales de votre forfait mobilité illimitée il y a 51,2 minutes. Vous n’avez pas lu le contrat ? »
Peter ne dit rien.
 » En tout cas, vous avez donné votre accord, dit le véhicule. Et vous serez certainement ravi d’apprendre que, pour votre confort, j’ai sélectionné une délimitation géographique qui vous permet de rentrer chez vous à pied en 25,6 minutes, compte tenu de votre cadence moyenne.

Quality Land est moins un roman qu’un récit composé de scénettes nous permettant de découvrir Quality City et le fonctionnement de Quality Land. Plusieurs personnages se partagent la vedette et les chapitres courts sont intercalées de publicités ou d’articles en direct de World Wide Whatever (WWW). Le style est très contemporain, facile d’accès et humoristique. L’auteur nous propose une satyre de l’hyperconsommation et de la technologie à outrance. Marc-Uwe Kling démontre par l’absurde à quel point le mieux peut-etre l’ennemi du bien : à Quality City, tout n’est pas génial mais géniallissime et l’on découvre rapidement que l’important n’est pas ce que le client achète mais le client lui-même. Les données personnelles sont la richesse des nouvelles sociétés technologiques : à Quality land, le produit c’est vous !

Ou comme Arthur C. Clarke l’a écrit :  » Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » On pourrait imaginer, par exemple, des robots de combat aux batteries usées qui s’animeraient lorsque le soleil brille grâce à leurs capteurs solaires. La nuit, en revanche, ils se figeraient. Des lutins inversés, pour ainsi dire. Chaque centrale nucléaire encore en activité serait une sorte de temple. Les artefacts magiques qu’on apporterait au temple reviendrait à la vie.

– Hm, dit Peter, qui ressent le devoir de contribuer à la conversation.

– L’idée ne vous plait pas, bienfaiteur ?

– Si, si. Une belle idée. Je suis déprimée, c’est tout. »

Dans le même lignée que Bonheur TM de Jean Baret, la violence en moins et un humour dopée à la Pop Culture en plus, l’auteur pousse à l’extrême l’exemple de la société de consommation. Une société où les individus sont classées de 0 à 100 par RateMe, où l’application Touch Kiss permet de payer d’un baiser, ou Quality Corp, le-consortium-qui-rend-la-vie-meilleure gère la vie des citoyens, où les robots ont des névroses et où la seule réponse aux questions posées est OK. C’est complètement caricatural mais la satyre sociale est bien menée. L’humour et la dérision très présents rendent le récit attrayant et assez fun. J’ai adoré les politiques présentés comme le métier destiné au fils de bonnes familles dont on ne sait pas quoi faire… c’est en fait délicieusement irrévérencieux à certains moments et complètement WTF souvent mais franchement c’est une lecture amusante.

Un livre a la portée de tout lecteur, facile d’accès avec un thème d’actualité et beaucoup de références aussi bien littéraires, cinématographique qu’historiques. C’est franchement une lecture détente qui ne se prend pas au sérieux mais avec un fond très réel et de nombreux points de réflexion sur notre société de consommation à outrance et ses dérives : « Est-ce une dictature si personne ne remarque que s’en est une ? Si personne ne se sent privé de liberté ? » That is a good question. Une première lecture pour la rentrée littéraire 2021 qui vaut le détour, surtout si vous aimez les romans dystopiques caustiques avec une dose d’humour. Personnellement j’ai passé un très bon moment.

12 commentaires

  1. J’avais pas tilté que c’était un Exofictions, comme quoi la charte graphique ça a un impact. 😅
    Si je comprends bien, c’est pas tout à fait TMissime mais c’est clic clic quand même ? Bon, faudrait déjà que je lise les livres de Jean Baret. 🙈

  2. J’ai l’impression que c’est quand même très « léger » et que cela enfonce pas mal de portes ouvertes sur le sujet maintes fois traités ?

    • C’est léger dans le ton oui. Les sujets sont plus ou moins les mêmes que ceux abordés dans Bonheur TM, les fans de SF auront surement lu d’autres livres sur ces thèmes. Mais perso,
      c’est son coté très accessible et un récit plein d’humour que j’ai trouvé très divertissant.

  3. Ah je n’avais pas imaginé que ce serait si porté sur la satire! Cool, j’en raffole. Je me note donc ça bien précieusement.

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